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Le référendum du 16 avril 2017 : renouveau constitutionnel ou dérive autocratique ?

Dernière mise à jour : 6 mai 2020

Par Mohamed Badine EL YATTIOUI

Le 10 février 2017, le président Erdogan a promulgué la loi votée par le Parlement et modifiant la constitution de 1982, ouvrant la voie à l’organisation d’un référendum. Dix-huit amendements sont soumis au peuple turc ce 16 avril. S’ils sont adoptés, l’exécutif sera exclusivement entre les mains du président (élu au suffrage universel depuis 2014 et non plus par les parlementaires) puisque la fonction de premier ministre disparaitra.


Le chef de l’Etat pourra également gouverner par décrets, déclarer l’état d’urgence, dissoudre le Parlement, nommer les hauts fonctionnaires, un ou plusieurs vice-présidents, certains magistrats, tout en restant à la tête de son parti s’il le souhaite.


Depuis 2002 l’AKP au pouvoir était synonyme de croissance économique élevée et de stabilité politique (puisque ce parti avait toujours la majorité absolue à la chambre). Le coup d’Etat militaire manqué du 15 juillet 2016, attribué au mouvement de Fethullah Gülen (FETO), a changé beaucoup de choses. La répression a été forte de la part du pouvoir puisque 40 000 personnes ont été arrêtées et l’état d’urgence décrété. L’une des conséquences de cette crise est la chute de la valeur de la livre turque, qui a perdu un quart de sa valeur face au dollar en moins d’un an. Ahmet Insel, politologue, est très dur avec le président : « dans les mois qui ont suivi le coup d’État de juillet 2016, le président Erdogan bénéficiait d’une opinion très favorable au sein de la population, mais aujourd’hui, on n’en est plus là, les attentats, les purges, les premiers signes d’une crise économique sont passés par là » [1].


Fin du régime parlementaire


Néanmoins, ce projet de réforme constitutionnelle de grande ampleur ne fait pas l’unanimité en Turquie puisqu’il vise en réalité à passer d’un régime parlementaire monocaméral à un régime présidentiel. Cela rompt avec une certaine tradition républicaine turque parlementaire depuis la mort de son fondateur Mustafa Kemal. Ce dernier a été le seul à avoir concentré le pouvoir entre 1923 et 1938. Recep Tayyip Erdogan souhaite finalement revenir à un régime fort dans lequel le président serait à la fois chef de l’Etat et chef du gouvernement. La différence entre la réforme proposée et le régime présidentiel classique (comme celui des Etats-Unis) est la place du pouvoir législatif. Si dans ce dernier modèle il est fort et indépendant, la proposition de réforme du président turc vise à le renvoyer à une fonction de « chambre d’enregistrement ». De plus, le droit de dissolution qui lui serait accordé et la tenue des élections législatives pour l’ensemble de la chambre le même jour que l’élection présidentielle rendraient le Parlement soumis aux desideratas du chef de l’Etat, ce qui n’est pas sans rappeler la Ve République française (depuis le quinquennat introduit en 2002 et où a été maintenue la fonction de premier ministre). Le paradoxe étant que les kémalistes du CHP s’y opposent au nom de la démocratie et de la séparation des pouvoirs alors que Mustafa Kemal, leur modèle, n’était pas élu par les Turcs et qu’il concentrait le pouvoir… Il tirait certes sa légitimé de l’Histoire et de la guerre d’Indépendance (1919-1923). Recep Tayyip Erdogan est lui un tribun. Il est arrivé à la fonction suprême, et aux précédentes, par les urnes (premier ministre de 2002 à 2014 suite aux élections législatives de 2002, 2007 et 2011). En 2014, il est devenu le premier président turc élu au suffrage universel direct, en gagnant de plus au premier tour avec 54% des voix. Mais les deux grands leaders de l’histoire républicaine, que tout semble opposer, ont un point commun : une vision verticale du pouvoir.


En route vers le « présidentialisme »


Le président a semblé vouloir tirer profit de la crise post coup d’Etat en exigeant cette réforme constitutionnelle, qu’il souhaitait depuis longtemps. Plus de quarante mille arrestations ont été dénombrées dans les rangs de la police, la justice et les milieux universitaires, souvent suivies de radiations de la fonction publique. Le seul motif a été l’adhésion au FETO. Il dispose déjà de l’ensemble des « manettes » du pays puisqu’il préside le Conseil des ministres, ce qui est nouveau en Turquie, et que son parti dispose d’une majorité absolue au Parlement. Il savait que le CHP (kémalistes) et le HDP (gauche pro-kurde) s’y opposeraient fermement. Mais il a su obtenir les voix des députés MHP (nationalistes), dont il avait besoin afin d’atteindre la majorité des trois cinquièmes en ce qui concerne la ratification parlementaire, quitte à y provoquer des tensions internes (plusieurs cadres ont été exclus du parti pour s’être opposés à la ligne de soutien au président définie par leur leader Devlet Bahçeli). Le MHP s’est longtemps opposé à l’AKP puis sous l’impulsion de ce dernier s’en est rapproché suite à ses scores électoraux médiocres et au nationalisme exacerbé d’Erdogan depuis 2015. « Certains partisans de l’AKP ont du mal à comprendre la nécessité réelle de cette réforme. Le président contrôle déjà tout. Pourquoi créer une tension supplémentaire avec ce débat ? Cela devrait provoquer des abstentions dans le camp du oui », selon Ahmet Insel [2].


Les spécialistes en droit constitutionnel de la « Commission de Venise » sont très critiques lorsqu’ils disent qu’ « en supprimant le système de contre-pouvoirs nécessaires », les dix-huit amendements « ne respecteraient pas le modèle d’un système présidentiel démocratique fondé sur la séparation des pouvoirs ». Ils affirment même que « le système risquerait de se transformer en un système présidentiel autoritaire » et que « l’état d’urgence actuel n’offre pas le cadre démocratique nécessaire à un scrutin aussi important qu’un référendum constitutionnel »


Finalement, nous pouvons constater qu’en un siècle les deux grands leaders de la Turquie républicaine, ceux qui ont généré la plus grande adhésion, sont des hommes ayant une conception verticale du pouvoir. Nous pourrions la qualifier de « bonapartiste ». Tous deux ont voulu s’adresser directement aux Turcs en passant au-dessus des corps intermédiaires et en marginalisant le parlement. Le 16 avril sera le premier test électoral depuis la tentative de coup d’Etat militaire, la purge contre les gülenistes, et la série d’attentats (attribués à Daesh et au PKK selon les cas) que connait le pays. Si le « oui » l’emporte cela serait un triomphe pour Recep Tayyip Erdogan et l’AKP. Cela couronnerait quinze années de succès électoraux consécutifs sur tous les plans : élections présidentielles (2007 avec l’élection de Gül par les parlementaires et 2014 avec l’élection d’Erdogan par le peuple), législatives (2002, 2007, 2011 et deux fois en 2015), locales (majorité des provinces en 2004, 2009 et 2014) et référendaire (2010).

 

[1] Turquie : le grand pari d’Erdogan, Le Point, 8 mars 2017, http://www.lepoint.fr/monde/turquie-le-grand-pari-d-erdogan-08-03-2017-2110303_24.php 

[2] Turquie : le grand pari d’Erdogan, op. cit.

[3] Commission de Venise : les propositions de révision de la Constitution turque constitueraient une « régression dangereuse » pour la démocratie, Conseil de l’Europe, 10 mars 2017, https://www.coe.int/fr/web/portal/-/venice-commission-proposed-constitutional-amendments-in-turkey-would-be-a-dangerous-step-backwards-for-democracy

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